Killers of the flower moon : La tragédie oubliée de l’histoire

KILLERS OF THE FLOWER MOON
Sortie en salles : 18 OCTOBRE 2023
Durée : 3H26
Réalisateur : Martin Scorsese
Acteurs principaux : Leonardo DiCaprio, Lily Gladstone, Robert De Niro
Synopsis : Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre…

Avant-propos

La plupart des biopics au cinéma racontent une période de l’histoire.  Ce genre de films aiment annoncer que le film est « inspiré d’une histoire vraie ». S’il y eu un vécu, il y a logiquement des témoignages et de la documentation sur le sujet.

Je vais donc faire un peu d’histoire sur la conquête de l’Amérique, où beaucoup ont souffert de ces colonisations et parler de leur transposition au cinéma. Mais si vous préférez passer directement à la critique, vous pouvez vous rendre directement ici pour avoir mon mon avis.

La triste histoire des Amérindiens

Dans notre enfance, nous avons tous eu des cours d’histoire durant notre période scolaire. Des cours dans les grandes lignes qui demandaient d’aller au-delà des apparences afin que nous puissions nous plonger dans les livres.

De mon vécu, plus les années passent, plus les cours que j’ai eu s’évaporent avec le temps pour ne retenir que l’essentiel. Cela ne veut pas dire pour autant que ma mémoire fait défaut. Mais parce que le professeur d’histoire que j’ai eu ne pouvait ou ne voulait pas donner trop de détails. Certaines périodes de l’histoire étant assez sombres, elles ne sont pas évoquées à des enfants âgés entre 8 et 14 ans.

Il y a eu dans l’histoire des événements majeurs qui ont encore des répercussions aujourd’hui. La période de l’histoire qui nous intéresse ici et celle de l’Amérique qui s’est fondée sur des désastres humains.

Lorsque Christophe Colomb croit avoir trouvé les Indes, il ne se doute pas encore que sa découverte viendra provoquer des guerres pour la domination du territoire, des épices et de l’or (entre 15eme et 16eme siècle). Les conquistadors attirés par l’or, firent des millions de victimes notamment avec la conquête du Mexique et de l’empire Inca.

Entre le 17eme et 18eme siècle, il y aura une expansion des colonies européennes en Amérique du Nord, Centrale et du Sud. Plusieurs pays s’ajouteront à l’Espagne et le Portugal : La France, L’Angleterre, Les Pays Bas et la Suède. Les grandes puissances Européennes se concurrenceront pour le contrôle des ressources naturelles et les marchés de l’Amérique.

C’est au 18eme siècle qu’il y aura une véritable lutte pour l’indépendance des colonies américaines. Les États-Unis d’Amérique, le Mexique, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud l’obtiendront au 19eme siècle.

La colonisation des Amériques par l’Europe ayant apporté avec elle maladies, technologies et cultures différentes aura un impact profond sur les populations autochtones,

En ce qui concerne les Amérindiens de l’Amérique du Nord, 3 guerres furent particulièrement meurtrières :

Pour en savoir plus sur ces guerres en vous rendant ici

Cette sombre et triste histoire de la conquête de l’Amérique a souvent été portée au cinéma. Dans la plupart des films jusqu’à ces 3 dernières décennies, les indiens étaient représentés comme des sauvages sanguinaires scalpant leurs victimes. Des films essentiellement basés sur les connaissances de l’époque, véhiculant une mauvaise image des Indiens, les pointant du doigt. Des films étaient là pour montrer une certaine vérité, un peu comme nos cours d’histoire.

Cette représentation au cinéma de l’homme blanc légitime héritier des terres auparavant habitées par les autochtones, naîtra en 1930 jusqu’à fin des années 50. Cette période est marquée par l’émergence du western comme genre à part entière. Les films de cette période sont des westerns traditionnels qui permettent de montrer les conflits entre les colons blancs et les Amérindiens. Ces films ont une mise en scène spectaculaire avec des personnages héroïques. La Chevauchée fantastique (1939), Shane (1953) et Les Sept Mercenaires (1960) sont parmi les films les plus marquants de cette époque.

Puis vint la période du western crépusculaire (1960-1970) qui met en avant des films sombres et violents. Le premier de cet ère sera Pour une poignée de dollars (1964). C’est durant cette période qu’émergera le western spaghetti. Dans cette catégorie, on peut citer Le Bon, La Brute et le truand (1966), Djando (1966) et Il était une fois dans l’ouest (1968).

Enfin, la période post-moderne qui commence à partir de 1970 et se poursuivra jusqu’à la fin des années 2000. Cette période est un tournant dans le genre western, puisqu’elle permettra de remettre en question les convections du genre établi. Ce sont essentiellement des films révisionnistes. Le Bon, la Brute et le Truand (1966), Impitoyable (1992) et Open Range (2003) font partie de ceux-là.

Durant les années 90, une prise de conscience naquit et de nombreux pays reconnurent ce massacre comme un crime contre l’humanité.

C’est dans ce contexte que des films comme Danse avec les loups (1991) firent leur apparition. Danse avec les loups est un film de Kevin Costner qui en était à son premier coup d’essai en tant que réalisateur. Danse avec les loups va mettre en émoi les spectateurs pour sa narration. Il fit grand bruit car à contre-sens ce que l’on avait pu voir auparavant. Il est qualifié par les critiques d’humaniste, d’époustouflant, prônant la tolérance et la compréhension des cultures. Kevin Costner recevra d’ailleurs 7 Oscar pour ce film la même année.

Plusieurs films surferont sur le sucées de Danse avec les loups, mais sans jamais vraiment l’égaler. Le dernier des Mohicans(1992) est un bon exemple puisque malgré ses qualités, il se verra reprocher caricaturer les Amérindiens, dépeints comme des sauvages cruels et sanguinaires.

Petit à petit, les films se détachent de leur représentation très colonialiste et caricaturale des américains natifs pour aller vers quelque chose de plus authentique.

Mais cet âge d’or du western a été relégué au second plan aujourd’hui. Le dernier film de Tarantino ,Once Upon a time in Hollywood nous raconte de façon imagée mais splendide la fin de l’époque traditionnel des western, à travers l’histoire d’un acteur dont la carrière est déclinante. Certainement l’un des meilleurs films du réalisateur.

Martin Scorsese

J’adore les fresques historique au cinéma. Ces films qui plongent dans l’intégralité de la vie d’un personnage . Laurence d’Arabie, Il était une fois en Amérique et bien d’autres. Ces films ont su conquérir leur public par leur contenu et leurs personnages. Si un film doit durer aussi longtemps, c’est qu’il a ce devoir de raconter quelque chose en détails et de façon intelligente sans ennuyer son spectateur. C’est donc un véritable exercice d’équilibriste .

Un des rares qui sache le faire encore aujourd’hui est très certainement Martin Scorsese. Avec plus de 64 ans de carrière à son actif, le réalisateur âgé aujourd’hui de 81 ans, a montré plus d’une fois ce qu’il savait faire en matière de cinéma. De plus, il fait partie d’une lignée de réalisateurs qui tournent encore aujourd’hui à l’ancienne, comprenez par là qu’il se repose souvent sur des décors naturels pour immerger le spectateur. Ce qu’il y a aussi de remarquable dans la filmographie du maestro, c’est sa maîtrise de mise en scène et surtout qualité constante de ses films. Et avec les années qui passent, on peut maintenant dire qu’il n’a plus rien à prouver, preuve avec son dernier film.

Killers of the flower moon

Killers of the flower moon est le dernier film historique de Martin Scorsese sorti cette année. Il n’en est pas à son premier film historique. Casino, Gangs of New York ou encore The Irishman étaient déjà des films basés sur des faits réels.

L’histoire qu’il raconte dans ce film est basé sur un livre de David Grann intitulé La Note Américaine (le titre original est Killers of the flower moon). Grann aura dû enquêter pendant 5 ans pour retrouver les témoignages de petits et arrière petits enfants Osage sur des faits remontant à 1920. Cette histoire inconnue de l’Amérique a été rendue public grâce à la parution de ce livre en 2017. Au début de ce vingtième siècle, les Amérindiens n’étaient pas encore arrivés au bout de leur souffrance après tant de haine portée contre eux. Mais si du 16eme au 19eme siècle, il était question d’extermination des peuples Amérindiens pour leur territoire, cette histoire du 20eme siècle repose en grande partie sur les ressources et la discrimination envers ce peuple.

Les Osage, contraints de céder leurs terres natales, Le Missouri et L’Arkansas, au début du 20eme se retrouvent a être retranchés dans une réserve indienne dans l’Oklahoma (en vertu du traité de Medicine Lodge) de 1400 mètres carrés. La réserve est basée dans une région aride et inhospitalière. Les Osage ont eu du mal à s’adapter et sont confrontés à la discrimination. En 1897,ils découvrent du pétrole dans la réserve et trouvent un moyen de transformer cela en richesses. Mais les colons blancs en ont écho et commenceront à exploiter les Osage et leurs terres, employant des moyens plus que discutables : meurtres à l’arme blanche, empoisonnements, mariages arrangés pour tuer la femme plus tard et hériter, rien ne leur sera épargné. C’est au total une soixantaine de meurtres crapuleux qui auront lieu dans le but de les dépouiller de leur argent. Une enquête par le futur FBI aura lieu et justice sera faite en 1922.

Les meurtres des Osage sont un exemple tragique de la violence et de l’exploitation dont les peuples autochtones ont été victimes aux États-Unis. Il était donc important pour Martin Scorsese de pouvoir rester le plus fidèle par rapport à l’histoire des Osage.

L’authenticité

Scorsese n’a pas fait les choses à moitié pour Killers of the flower moon. Il a d’abord lu le livre de David Grann, puis s’est rendu sur les terres des Osage. Enfin et parce que sans eux rien n’aurait été possible, Martin Scorsese a rencontré pendant plusieurs heures plusieurs personnes liées de près ou de loin à l’affaire dont :

  • Charlene White Eagle-Williams, une descendante de la famille White Eagle, qui a été l’une des premières victimes des meurtres de la « Fleur de lune ».
  • Billie Jo HorseChief, une historienne et activiste Osage, qui a aidé Scorsese à comprendre l’histoire et la culture du peuple Osage.
  • Clyde et Wilma Ellis, un couple Osage qui a raconté à Scorsese leurs souvenirs des meurtres et de la vie dans la réserve Osage au début du XXe siècle.

Scorsese voulait être au plus près de l’histoire et revenait souvent les voir pour agrémenter son scenario jusqu’à assister à certaines cérémonies Osage.

Le résultat est là : Scorsese allant dans la précision chirurgicale quant il s’agit de conter l’histoire, rendant hommage de bien belle façon aux Osage. Il est frappant de voir que le film redessine sur grand écran chaque détail de cette période. Allant de l’enrichissement inattendu de ces Amérindiens via des objets de luxe, les blancs et les jeux d’argent ou encore les caractères ciselés des personnages, rien ne manque à ce film dont la photographie est belle même de nuit. Cela change des plans de nuit filmés avec un filtre bleu.

Les décors et la photographie

Tout comme sa maîtrise de narrer son histoire, la camera de Scorsese filme des décors crasseux et poussiéreux nous immergeant dans un genre que le réalisateur n’avait jamais expérimenté : Le western. Mais c’est parce qu’il sait ce qu’il veut filmer que cela semble si réel, le tournage ayant pris place sur la réserve même des Osage en Oklahoma. l’étalonnage des couleurs donne un ton naturel au tout.

Les personnages et acteurs

La terrible tragédie des Osage est très lié aux méfaits qu’ont exercés Ernest Burkhart et son oncle William Hale sur cette tribu.

William Hale était bien connu des Osage pour faire des dons à des œuvres caritatives et être loyal. L’interprétation de Hale par Robert De Niro en fait un véritable monstre, sournois et manipulateur. Car si le personnage de Di Caprio est loyal envers son oncle car lui ayant trouvé un travail malgré ses faibles compétences, Hale n’hésitera pas à manipuler son neveu pour obtenir jusqu’au dernier dollar. Employant tous les moyens possibles et imaginables qu’un être humain puisse imaginer pour arriver à ses fins. De Niro faisant de Hale quelqu’un de froid, cupide et sans scrupules. Et le message passe formidablement à l’écran. Je n’avais d’ailleurs jamais vu au cinéma un antagoniste aussi détestable. De Niro dira dans une interview consacrée à Critqal ne pas comprendre le comportement William Hale, ne pas comprendre comment et pourquoi il a fait tant de mal à cette communauté.

Quant à son neveu interprété par Leonardo Di Caprio, il est dépeint comme une personne avec un faible niveau d’instruction ayant fini son instruction militaire, à la recherche de fortune grâce aux gisements de pétrole. C’est alors qu’il rejoindra en 1912 son oncle qui lui accordera un travail. Ne se doutant pas un seul instant que l’objectif de son oncle de le marier à une femme Osage avait pour but d’hériter sa fortune à sa mort. Di Caprio y interprète un rôle complexe et ambigu, dont on aura bien du mal à cerner les véritables motivations. Jouant sur deux plans, on le sent exécrable, pillant les morts de leur richesses tout en essayant de rassurer honteusement sa femme Mollie Kyle Burkhart.

Mollie Kyle qui est interprété par Lily Gladstone. Originaire de la tribu des Nimíipuu et des Pikunis , cette actrice Amérindienne quittera la réserve des Blackfeet pour y suivre des cours de théâtre. Ce ne sera pas la seule Amérindienne à avoir été engagée sur le film de Scorsese, puisque beaucoup d’autres personnes des mêmes origines seront prises pour des rôles secondaires comme William Belleau (Henry Roan) ou Atanka Means (Agent John WrenWren) qui est issu de la tribu Osage. Avec toujours un souci d’authenticité pour le réalisateur.

Lily Gladstone joue une Mollie Kyler se laissant croire que Ernest Burkhart est différent malgré les avertissements de ses sœurs. Mais elle n’est pas dupe pour autant des intentions de son mari qui est un américain blanc comme les autres, venu chercher fortune. Mais pour elle, il n’est pas pressé. L’interprétation de Lily Gladstone est juste magnifique. On devine ses pensées rien qu’en voyant, dans ses expressions non verbales ou les mots exprimés en anglais ou en langue Osage.

La langue Osage

Effectivement, contrairement à certains films ou séries où les peuples utilisent la même langue pour communiquer entre eux, Scorsese a fait l’effort de réapprendre aux acteurs qui en avait besoin l’usage de la langue d’origine pour mieux coller au personnage. En effet , les Osage parle une langue algonquienne qui est menacée d’extinction aujourd’hui. Il a fallu donc à Lily Gladstone des mois de répétition avant de pouvoir parler correctement Osage. Tout comme c’est le cas pour Robert De Niro et quelques autres.

Scorsese a ecrit et réalisé une histoire telle qu’elle a été vécu, sans filtres, de façon brute. La série de meurtres perpétrés sont représentés à l’écran sans modération, mettant au supplice le spectateur. Mais connaissant la façon dont Scorsese filme la violence, ce n’est guère étonnant.

Comme je le disais plus haut, le travail sur Killers of the flower moon a été titanesque pour être le plus proche de la réalité. Le film peut paraitre dur à certains moments, mais je pense qu’il était essentiel qu’il en soit ainsi pour marquer le spectateur qui ne connait pas cet épisode de l’histoire américaine.

Je pense que les films ont ce devoir de préservation de l’histoire quand ils sont bien écrits et réalisés. Pour ma part, ce film m’a appris une chose : Quelles que soient les époques, l’homme a toujours été avide de pouvoir et cherché a dominer les autres à plus ou moins grande échelle. Il peut commettre les pires fautes comme les meilleures actions, et avoir les pires intentions dans le but de s’approprier ce qui ne lui appartient pas.

Ce film m’a particulièrement ému et encore aujourd’hui, il est celui qui marque profondément mon attachement pour l’histoire des Amérindiens et en particulier des Osage. Une situation qui se rapproche d’une extermination à petit feu par cupidité. Je n’ai pas de mots assez forts pour exprimer et caractériser le type humains ordonnant ce genre d’atrocité. Par moment, ce film m’a fait penser aux pires moments de notre propre histoire.

C’est pour cela que j’ai fait tant d’efforts pour écrire cet article : Aller au-delà du film et chercher le plus de renseignements sur ce qu’il s’était passé à l’époque. Et mon prochain livre de chevet pour compléter ma recherche sera le livre de David Grann qui est tout à fait abordable.

Ce film mélange traditions et modernité, traditions indiennes et modernité apportée par les descendants des colons. Mais même si la jalousie de l’autre existe dans toutes les cultures, elle est ici multipliée par dix et importée parmi les gens qui ne voulaient qu’une chose : sortir de leur pauvreté pour vivre mieux.

Et ici, Scorsese a réussi sur tous les points, nous faisant réfléchir sur la nature humaine.

Sources et Inspirations

Un grand merci à tous ceux qui m’ont soutenu pour la rédaction de l’article.

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